En ces temps, où l'on croit opportun de surveiller les "atteintes à la forme républicaine des institutions" (ce qui signifie, dans la bouche des députés, toute la bureaucratie étatique), il me semblait urgent de préciser que les anarchistes, qui général veulent "porter atteinte à la forme républicaine des institution", ne sont pas des terroristes. Que l'on ne puisse pas contester cette forme particulière d'organisation me semble d'ailleurs être grosso-modo une sorte de délit d'opinion.
En effet, la république dont on nous rebat les oreilles en permanence est quelque chose de bien vague. En gros, disons que c'est un régime politique dont les chefs sont élus via des élections "populaires".
Rien que cette phrase mériterait un livre, car, que signifie "élus" ? Est-ce que le fait de faire valider ce choix par une partie de la population est une garantie de légitimité ?
Mais comme vous le savez peut-être, les anarchistes ne veulent pas de "chef". Au pire, ils désignent via un mandat impératif et révocable quelqu'un qui devra se charger de telle ou telle tâche de coordination, qui exigerait une certaine centralisation. Je résume ce mécanisme rapidement car il est relativement complexe, mais le pouvoir est aux mains du peuple : réellement. C'est-à-dire qu'à n'importe quel moment, via une assemblée générale, il peut sommer son mandaté de s'expliquer sur la réalisation de son mandat, et s'il n'est pas satisfait, le destituer aussi sec.
Il y a des objections courantes sur ce type de fonctionnement, parmi lesquelles je choisirai une des plus facile : "Mais comment faire pour faire une assemblée générale à 60 millions de personnes ?"
La réponse est simple : on peut atteindre une taille importante avec des mandatés intermédiaires. Mais vouloir être 60 millions n'est juste pas compatible avec des exigences de démocratie. D'ailleurs, les politiciens prêchent principalement pour l'Europe pour cette même raison : si on ne peut avoir de démocratie pour 60 millions, que dire de 320 ? Plus il y a de monde, moins il y a de démocratie possible (quand à dire "souhaitable", c'est autre chose).
C'est pour cette raison que les anarchistes sont internationalistes ou plus exactement, a-nationalistes. Ils pensent que les nations ne sont que de pures abstractions construites pour séparer les gens d'un côté, et les réunir d'un autre au sein d'un ensemble trop grand pour pouvoir être démocratique. La réalité, c'est que hors l'endoctrinement scolaire et familial, la plupart des gens se fichent de savoir la couleur du drapeau qu'ils ont au-dessus de la tête. Quand on en parle avec eux, c'est-à-dire qu'on remet en cause ces bêtises, on a d'ailleurs rapidement affaire à de la colère ("vas-t-en vivre ailleurs si tu crois que c'est mieux qu'ici !") ou des déclarations plus ou moins irrationnelles ("T'es né en France, t'es français et pis c'est tout"), incapables d'expliquer pourquoi naître d'un côté ou d'un autre d'une ligne imaginaire peut affecter un être raisonnable. Cet énervement ou ces réactions affectives sont typiques du lavage de cerveau : Impossible de raisonner sur ces idées qui ont été implantées par des répétitions multiples; pris en défaut, contraint de faire le choix entre la raison et ce qu'il a toujours cru vrai, le patient est victime de dissonance cognitive. Il n'écoute plus, ne retient plus ce qu'il entend. J'en ai pas encore vu prendre la position fœtale, mais je me l'imagine très bien.
Pour en revenir à notre sujet, les anarchistes, qui militent pour la destruction de l'État et la mise en place d'un mode de fonctionnement libertaire (les modalités précises elles-même doivent faire l'objet de débats), ne sont pas des terroristes.
Seront-ils surveillés comme tels ? C'est en tout ce que promet le projet de loi sur le renseignement.
Toujours à la pointe
Si c'était le cas, ce serait un grand tort causé à la démocratie. En effet, depuis bientôt deux siècles, les anarchistes ont eu les idées les plus avancées et les plus progressistes. Ils ont été quasiment les seuls, à gauche, à prévoir le carnage de l'union soviétique (et pour cause, Lénine n'a pas oublié de les fusiller). Quand on relit leurs écrits, on s'aperçoit qu'ils étaient parmi les premiers écologistes, les premiers féministes, etc.A l'époque où ils dénonçaient l'esclavage, certains le justifiait comme aujourd'hui on justifie la police, l'armée, la nation.
Quand on est anarchiste, on ne renonce pas, on n'abandonne jamais, on ne se résigne pas à voir les gens souffrir en attendant que ça s'arrange. On veut du changement ici et maintenant.
Et surtout, on sait à quoi s'en tenir sur l'État, sous le masque de ses intentions. Ce en quoi, depuis des années, on est toujours seuls.
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